lundi 21 décembre 2009

Le projet du Grand Paris n'est pas métropolitain, par Daniel Behar et Philippe Estebe (Le Monde)

Nous reprenons cette tribune parue dans Le Monde sur le projet de loi gouvernemental du Grand Paris. Elle est signée Daniel Béhar (Institut d'Urbanisme de Paris, Master urbanisme, mention stratégies territoriales et politiques publiques) et Philippe Estèbe (Sciences Po Paris, Master stratégies territoriales et urbaines).


"La discussion autour du projet de loi relatif au Grand Paris tend à mettre en cause son rabattement sur un schéma de transports, pour peser les vertus respectives d'un parcours aérien ou souterrain ou à incriminer son manque de vision globale pour l'Ile-de-France. Là n'est pas la question : au sein d'une "République décentralisée", il n'est pas de la légitimité de l'Etat de définir cette vision. En revanche, il lui revient bien d'énoncer une stratégie de développement de la région-capitale, c'est-à-dire définir les conditions de sa contribution optimale à la performance de la France dans le contexte de la mondialisation.

Sur ce plan, ce projet propose comme préalable implicite une rupture doctrinale tout à fait justifiée avec un des dogmes fondateurs de "l'aménagement du territoire à la française", celui du rééquilibrage entre Paris et la province. Avec l'attractivité renouvelée des grandes villes et du tissu rural, cette posture n'était plus de mise. Mais comment alors affirmer la place de la première métropole française dans le monde ? Pour relever ce défi, le projet de loi formule une hypothèse stratégique : la globalisation constitue une échelle inédite dans la concurrence internationale, à laquelle il faut répondre en "ajoutant" des facteurs de compétitivité à la métropole, soit "à côté" (c'est la proposition séduisante de l'extension de Paris jusqu'au Havre), soit "au-dessus", et c'est la couche supplémentaire des "clusters", de la recherche et de l'innovation, de la Défense à Saclay en passant par Le Bourget, desservis par le fameux "grand huit". Or cette hypothèse est tout à fait discutable.

Il n'est d'abord pas certain que la question de l'ouverture au monde au XXIe siècle se joue sur le plan des échanges marchands maritimes. Et peut-on décréter ainsi la rupture avec la permanence d'une histoire longue davantage continentale que maritime ? Mais surtout la mondialisation ne constitue pas un niveau en plus, à l'extérieur, mais un processus qui produit une nouvelle figure de la ville – la métropole après l'agglomération – où les liens en réseau désorganisent la continuité des lieux et génèrent de multiples contradictions entre le global et le local. Autrement dit, la mondialisation n'est pas un défi du dehors, mais du dedans de la métropole.

Sur le plan économique, se mettre à sa hauteur ne consiste pas à ajouter quelques " clusters ", en espérant un effet locomotive qui n'est nullement garanti. C'est plutôt sur l'ensemble du territoire métropolitain qu'il faudrait miser. Les affaires et la finance ne sont pas l'exclusivité du pôle de la Défense mais l'attribut de tout l'Ouest parisien. L'excellence scientifique ne se joue pas sur Saclay mais à l'échelle d'un cône sud de l'innovation, entre la Montagne- Sainte-Geneviève, Evry et Saclay. Le tourisme et la culture – au-delà de la puissance de Paris intra muros – s'étendent aujourd'hui vers le nord et l'est, sur des registres davantage contemporains que patrimoniaux. Enfin et surtout, la performance de ces activités d'excellence dépendra de l'étroitesse de leurs relations à la métropole ordinaire, celle de la logistique, du BTP ou des services.

Sur le plan social, l'enjeu n'est pas de minimiser le risque d'émeutes sociales et d'atteinte à l'image internationale de Paris, au travers d'un "détour" du grand huit par Clichy-Montfermeil mais de développer résolument un cosmopolitisme métropolitain. A Paris, comme dans les autres métropoles du monde, la métropolisation s'accompagne d'un développement des migrations internationales. Ailleurs considéré comme une ressource essentielle de l'attractivité métropolitaine, cet enjeu est totalement passé sous silence dans le projet du Grand Paris. Sont tout autant occultés le potentiel créatif induit par ce nouveau cosmopolitisme que les nouvelles figures de la pauvreté qu'il engendre.

En initiant le projet du Grand Paris, l'Etat a bien perçu le défi pour la France que constitue la question métropolitaine. Mais en décalquant les recettes des années 1960 à l'époque de l'agglomération parisienne, mises au goût du jour selon une géographie dilatée (un métro automatique succédant au RER, et des clusters aux villes nouvelles), sa réponse n'est pas à la hauteur. C'est à "faire métropole" qui faudrait collectivement s'attacher."

Daniel Behar est professeur associé à l'Institut d'urbanisme de Paris et Philippe Estebe est professeur associé à Sciences Po Paris. Tous les deux sont consultants à la coopérative Acadie.

2 commentaires:

Gérard Sainsaulieu a dit…

Paris, ta rue fout le camp !
De votre beau texte j'entrevois une place pour Rimbaud, Clébert Marcel Poëte et tous les métèques cosmopolites qui ont illuminé Paris. L'avenir du monde passera peut-être par une mondialisation, j'espère celle des idées et non celle des containeurs...Et restons circonspect car ce sont bien les "professionnels de la profession" qui en un demi siècle ont "zacqué" la France
Louis XIV se méfiait de Paris (La Fronde de son enfance), il y a très peu construit. Napoleon le petit est le seul empereur à avoir bouleversé Paris. François Mitterrand nous a laissé non Beaubourg mais le calamiteux Opéra Bastille ! Chaque prince veut laisser sa marque à défaut de style.
Oui Paris est une ville réussie pas encore massacrée par la modernité. Combien de touristes veulent visiter Abou Dabi ou similaire, où l'architecture et l'urbanisme triomphent en maître ? Sous NIII les ouvriers habitaient les chambres de services et l'ouvrier aimait "flâner le long des grands boulevards" comme le chantait Yves Montand.
La banlieue c'est le vomi du capitalisme industriel facilité par le développement des transports en commun. Mais un petit pavillon est l'œuvre d'un ouvrier ou d'un petit bourgeois, le reflet de ses rêves et non la marque d'infamie du capitalisme. Les tours et les barres sans équipement et sans rue où il ferait bon flâner (merci les hypermarchés) sont les traces du mépris des nantis sur les ratés/refusés de l'espoir et de la consommation. n le petit est le seul empereur à avoir bouleversé Paris.François Mitterrand nous a laissé non Beaubourg mais le calamiteux Opéra Bastille !
Le spectre du couple NIII-Hausmann hante les enragés du dévelopement de Paris. "Paris ville monde". Paris capitale du XXI ème siècle. Dans cette histoire tous les coups sont permis. Ici aussi, l'essentiel n'est-il pas de gagner.
NIII-Hausmann en fabriquant au frais de l'État des rues avec tout l'équipemement moderne sous les trottoirs faisaient un énorme cadeau au capital immobiler. D'où la frénésie constructive du XIXe siècle qui bouleversera l'aspect de Paris.
La question, non du développement de Paris, mais de son avenir, réside dans l'analyse de l'existant qui n'est plus à faire mais à faire connaître pour que les représentant du peuple propose des réponses à cette ville qui vit à plusieurs vitesses. Cela mérite une reflexion longue et patiente et non pas des slogans de tête de gondole.
Oui Paris est une ville réussie pas encore massacrée par la modernité. Combien de touristes veulent visiter Abou Dabi où l'architecture et l'urbanisme triomphent en maître ? Sous NIII les ouvriers habtaient aussi les chambres de services et l'ouvrer aimait "flâner le long des grands boulevards" comme le chantait Yves Montand.
La banlieue c'est le vomi du capitalisme industriel rendu possible par le développement des transports en commun. Mais un petit pavillon est l'œuvre d'un ouvrier ou d'un petit bourgeois, le reflet de ses rêves et non la marque d'infamie du capitalisme. Les tours et les barres sans équipement et sans rue où il ferait bon flâner (merci les hypermarchés) sont les traces du mépris des nantis sur les ratés/refusés de l'espoir et de la consommation. Faire de la banlieue jusqu'au Havre ou mieux jusqu'à Terre-Neuve !
Quand le mépris des planificateurs est si grand, on peut espérer que ceux qui n'ont plus rien à perdre, qu'à flâner dans les rues, se soulèvent.
Qu' ils le fassent vite avant que ne se poursuive le grand massacre du territoire par les professionnels de la profession.

Gérard Sainsaulieu architecte DPLG Urbaniste DIUUP

maillet a dit…

La rupture "justifiée" avec le rééquilibrage Paris-Province ! ?

L'idée "séduisante" de Paris jusqu'au Havre ! ?

Tout cela c'est du délire !

Et prétendre contribuer ainsi à la performance de la France est une imposture.